Gaspar Claus
artiste associé saison 2015-16
Gaspar Claus est un infatigable passe-muraille n’ayant de cesse de re-configurer selon son bon plaisir les cartes d’Etat-major du monde de la musique. Violoncelliste tout-terrain qu’on pourrait qualifier d’héritier hérétique de l’exemplaire Tom Cora avec lequel il partage cet alliage du populaire et du savant, de la mélodie et du boucan ainsi qu’une gourmandise tous azimuts, il met sa technique hirsute au service de la joie pure d’être vivant, toujours ouvert à la surprise, avec cet élan humaniste dont il vient contaminer ses innombrables collaborations (de Jim O’Rourke à Sufjan Stevens, Rone et Angélique Ionatos).
Musique improvisée (en compagnie de Keiji Haino ou de Serge Teyssot-Gay), musique contemporaine (avec Bryce Dessner) flamenco (Pedro Soler et Ines Bacan) ou pop (Barbara Carlotti, Peter Von Poehl), tout entre ses mains se transforme en exercice d’intensification du goût, d’éclatement des frontières.
Musicien désentravé dont l’esthétique mouvante est une éthique de la flibusterie, de la contrebande et du partage, Gaspar Claus est aussi l’instigateur du « Festival Permanent ». Cette grande confrérie invisible et éclatée se propose au delà de tout esprit de chapelle, de disséminer à travers le monde comme une idée de l’acte gratuit et spontané, une pensée de la création libre dont le geste s’invente à mesure qu’il se découvre. Une confrérie sans dogme ni hiérarchie, impossible à définir, à circonscrire, à capturer.
Gaspar Claus, est de ces musiciens pour qui la musique est avant tout la manifestation d’une présence au monde et une célébration ininterrompue de ces vieilles valeurs désuètes et pourtant ô combien subversives que sont l’amitié, la réinvention du vivre-ensemble, la violence du plaisir. Valeurs qu’il exalte d’ailleurs avec les violonistes Carla Pallone et Christelle Lassort en compagnie desquelles il a fondé Vacarme, trio engagé avec la même ferveur au côté d’artistes tels que Rover ou Stranded Horse que dans l’interprétation sauvageonne de compositeurs contemporains.
1 – Nous sommes tous confrontés à l’héritage, à ce que l’on doit à ses parents. Quand on est musicien et fils de Pedro Soler, est-ce plus facile ou encore plus compliqué ?
Vaste question. Un jour on se rend compte qu’on tient de quelque chose. C’est merveilleux car on hérite souvent de forces que l’on n’a pas eu à construire et en même temps on peut se sentir condamné à devenir, sans l’avoir choisi, une représentation filiale. Avant de commencer à jouer avec mon père, d’écrire des morceaux avec lui, j’ai eu mon propre parcours. J’ai passé mon adolescence et ma vie de jeune adulte à explorer toutes les musiques, sans a priori, avec gourmandise. Je m’en suis imprégné, j’ai cherché ma ligne, mon son personnel, comme une synthèse de l’ensemble. Alors, je suis revenu vers lui et, là seulement, il a présenté sa tradition musicale, le flamenco, à cet étranger hybride que j’étais devenu. Il m’a aussi légué l’amour du son, la méfiance vis-à-vis d’une approche seulement technique de la musique, une certaine imprécision qui me ravit et qui, parfois, me frustre énormément, un rapport intense et amoureux à ce qui se cache au fond de chaque note, et au silence qui l’entoure.
2 – Comment s’est fait la transmission ?
Il n’y a pas eu transmission comme quand un maître enseigne une tradition à un disciple. Pedro m’a présenté des styles, leur structure rythmique et harmonique, nous avons écouté ensemble différentes interprétations de ces styles, puis a commencé une partie de ping pong. Un échange de propositions qui, petit à petit, devient un morceau de musique respectueux du carcan traditionnel, à l’intérieur duquel j’ai toute liberté d’aller à l’aventure. Quand deux mondes entrent ainsi en collision, un nouveau territoire, inattendu, se dessine, qui nous surprend l’un et l’autre.
3 – Le violoncelle était-il votre premier choix, une sorte de « vocation » ?
Je suis tombé amoureux de cet instrument à l’âge de 5 ans, en assistant à un concert du quatuor des frères Claret. Jusque là, je grattais une petite guitare. En rentrant du concert, j’ai pris celle-ci à la verticale et n’ai plus jamais voulu la tenir autrement que comme un violoncelle. Mes parents m’ont inscrit à la classe de violoncelle de l’école de musique de mon village. Cette formation classique a duré près de 15 ans. Je ne regrette rien de ce qui m’a été enseigné. Et si j’ai dû déconstruire des choses pour développer mon son propre, c’est bien parce que le conservatoire m’a préalablement apporté de la matière à déconstruire.
4 – Pouvez-vous nous en dire plus sur le concept de Festival permanent que vous prônez ?
En quelques mots le Festival Permanent est un festival qui a lieu partout, tout le temps et dont chacun est à la fois acteur et spectateur. Le truc, c’est que les gens ne sont pas forcément au courant alors on essaie de passer le message. Pour cela on garde à l’esprit que chacun de nos actes peut être une émergence du Festival Permanent, un moment de création ensemble, de recherche d’une certaine qualité de production et de diffusion à la hauteur de ce Festival, dont seules ses diverses mises en relief donnent une idée de ce qu’il peut être. Le Festival Permanent me permet aussi de donner un lien, un fil conducteur entre toutes mes activités qui, parfois, me perdent moi même tellement elles me baladent dans les mondes musicaux apparemment éloignés les uns des autres.
5 – Flamenco, musique japonaise, électro, acoustique, improvisations radicales, rap, partitions très écrites… Avez-vous le sentiment que cette ouverture musicale est générationnelle. Qu’il existe moins de chapelles que par le passé ?
Au début des années 2000, il y eut une époque bénie où tout le monde échangeait ses disques par le biais des peer-to-peer et des blogs. Soulseek, des blogs ultras pointus proposaient des disques introuvables à télécharger. On échangeait nos bijoux, on discutait avec des Grecs, des Portoricains, des New Yorkais qui demandaient tel disque de tel interprète de Scarlatti plus édité depuis 15 ans contre cette rareté de Sonic Youth ou ce vieux Linda Perhacs. J’étais entouré d’explorateurs. Cet âge d’or du décloisonnement a duré une dizaine d’années. Puis les grands médias et les majors (ainsi que les grands médias » indés » et les majors » indés « ) ont repris les rênes, avec le streaming, et ont recommencé à nous dicter ce qu’il faut écouter, à proposer leur sélection, à vendre leurs nouvelles sorties et leurs réédition. Exit la « génération sans chapelles ». Je suis heureux que cette époque ait eu lieu. Cela prouve que nou sommes capables de nous « gouverner » lorsque les outils sont entre nos mains et non entre celles des puissants.
6 – L’éclectisme et la variété, le désir de ne jamais vous » baigner dans la même eau » vous caractérisent-ils ?
Je crois que j’ai toujours eu peur de devenir quelque chose. Ado, je voyais les adultes s’enfermer dans des îlots, frayer toujours seulement avec ceux qui leur ressemblent. Mes amis sont biologistes, architectes, ouvriers, restaurateurs, artistes, vignerons. Je ne supporterais pas de n’avoir que des musiciens autour de moi. Le pire de tout serait de jouer un style musical et de m’enfermer dans u milieu spécifique. Du coup je suis un peu dilettante dans chaque univers que je croise, celui qui en sait un eu moins que les autres, avec lequel il faut aussi être patient parfois, parce que je ne suis pas le plus rapide des musiciens pour comprendre une nouvelle formule. Mais j’adore cette place Elle me permet de me concentrer et de m’éclater sur une vision plus générale des projets.
7 – Comment abordez vous cette relation suivie, en tant qu’artiste invité, avec Brest ?
C’est une première, je suis flatté de l’invitation. C’est très honorant et assez étonnant pour moi. Je vais l’aborder comme le reste, avec enthousiasme et l’envie d’en tirer toute la richesse qui peut en être tirée . Il y a tant de possibles. l’équipe de Penn Ar Jazz fait partie de ces collaborateurs avec lesquels il est bon de travailler, car ils préfèrent les solutions aux problèmes, et ça c’est précieux ! On en reparle en fin de saison ?
Gaspar Claus sera présent tout au long de la saison, et notamment au Festival Invisible, le Festival Désordre au Mac Orlan, et Sonore à Run Ar Puñs.
Vous pouvez (re)vivre le concert de Gaspar Claus & Mike Reed au Mac Orlan, avec Jean Luc Germain et Oufipo en CLIQUANT ICI ! Et une belle interview + live sur France Culture ICI (à partir de 28″) et une autre sur Radio U ci-dessous