Eve Risser-Sylvain-Gripoix

Ève Risser
artiste associée saison 2016-17

 

La pianiste et compositrice Ève Risser est l’une des personnalités les plus en vue de la jeune scène créative européenne, au carrefour du jazz, des musiques improvisées et contemporaines. Ses recherches musicales et explorations sonores sont fondées sur une approche et une pratique très personnelle du piano. À fleur de peau et d’une honnêteté sans fard, elle a accepté de se livrer à nous. À la fois passionnant et instructif, ce texte nous en dit un peu plus sur la future artiste invitée de la saison 2016/2017.
 

Entretien avec Ève Risser
artiste associée de la saison 2016-17

Jazz pas jazz ?
J’ai étudié le piano, la flûte traversière en classique, dès l’âge de 7 ans. Quand j’ai pu choisir, je me suis tournée vers le jazz et les musiques contemporaines ”à improviser”, comme ils disaient au conservatoire de Strasbourg. J’ai toujours évolué dans le milieu très “institutionnel” des conservatoires, tout en menant des recherches autodidactes avec mes amis. Je me fiche qu’on me considère comme une musicienne de jazz ou d’autre chose. J’essaie le plus possible d’être qui je suis, et c’est déjà pas une mince affaire.

Improvisation
Ma première respiration fut la musique, n’importe laquelle. Chez nous, c’était le classique et le jazz. Dans le classique, je cherchais toujours plus de liberté, j’avais besoin de place pour m’exprimer. Quand j’ai découvert l’improvisation, je ne pouvais plus repartir en arrière…

Piano préparé
C’est là que je me sens le plus ”moi”. C’est un profond monde intime, très personnel… comme des entrailles, disent certains. Le ”créatif”, le ”personnel/singulier”, la ”liberté”, le ”bricolage home made”, l’aspect ”nouveauté” – s’y rejoignent. J’adore tout autant le piano non préparé. Je n’ai juste pas été assez loin à mon goût pour en faire un disque solo. Mais ça va venir !

Grand public / pas grand public
Malheureusement, on ne choisit pas de faire de la musique grand public ou pas, on le subit ou non. Par contre, oui, c’est très difficile d’être vraiment libre dans ce monde, mais c’est ça la quête. Comme le dit Camus, c’est une des conditions pour être artiste, l’autre étant le devoir de vérité. Sinon c’est même pas la peine. Parfois, je me demande si je continuerais à aimer la musique contemporaine ou expérimentale si elles étaient grand public (hahaha !). Mais je vous rassure, la réponse est oui.

Cloisons
À ceux qui trouvent telle ou telle musique trop élitiste, je dirais d’aller en écouter plus souvent, car c’est trop facile de juger sans connaître. Je proposerais d’apprendre très tôt aux enfants que le fait d’avoir des qualités artistiques et créatives plutôt que des qualités dans d’autres matières ne veut pas dire qu’on est ”mauvais”, au contraire. Et puis, arrêtons de cloisonner les musiques en France, c’est notre spécialité. Aux États-Unis, je l’ai encore vu il y a peu dans une tournée à Chicago, un musicien de jazz fait un disque de hip-hop avec du free dedans… Merci !!

Politique
Dans un monde ou tellement de professions sont de plus en plus précaires, nous ne sommes pas, et de loin, les premiers à plaindre en tant qu’intermittents. Mais je constate quand même que nous sommes nombreux de ma génération, à avoir l’impression qu’on se fout bien de notre poire. Tous ces combats, ces luttes du passé, pour qu’une brochette de super-riches nous pillent tout ! Est-ce que les gens savent que quand ils achètent un disque sur iTunes l’artiste reçoit 0,001 centime ???!!! Alors qu’il bosse comme un chien pour le faire. On aurait de quoi tous perdre nos voix en criant dans la rue !

Brest
Je suis si ravie et me sens chanceuse d’y être accueillie comme artiste invitée, c’est gratifiant. Des gens que je respecte, avec qui je partage une passion – presque un combat aujourd’hui – me font confiance pour créer quelque chose sur leurs terres. C’est pas rien ! Donc c’est une grande joie ! Après, il faut composer. De mon côté, j’aime travailler avec de très grands formats, mais je ne suis pas encore assez connue pour brasser assez de moyens pour cela. Alors je fais mes armes via ces résidences.

Alors, heureuse ?
Ben, en fait, oui. Une partie de moi fait de la musique professionnellement, car j’ai appris à évoluer dans ”cette” société. Une autre partie de ma vie est dans la musique, la musique est dans ma vie… J’ai voulu être musicienne dès que j’étais petite… C’était une manière d’exister je crois…! C’était un rêve de vivre de la musique que je fais et que je créé avec mes amis. C’était un autre rêve d’être sur ce label portugais Clean Feed. C’était un rêve, de partager des émotions ultra fortes avec des musiciens que j’adore et tout ça sur scène, avec la possibilité de partager ça avec un public.

Influences / sources d’inspiration
Je passe beaucoup de temps à tenter de débroussailler ce que je sens… et cela à travers tout média que je croise. C’est ce qui m’intéresse le plus, pas forcément à avoir le maximum de connaissances… Je me bouge bien les fesses pour aller à plein d’expos, galeries, voir des films, documentaires notamment. Je suis curieuse et je me force à aller voir les autres, à lire un peu, à regarder les détails, les coutures des choses, les gadgets… Je me sens profondément liée aux pays du Grand Froid, à la Scandinavie, à la Norvège… J’aime marcher dans la neige et parler à des gens qui ont vécu l’hiver dans le noir, ils ont des bougies différentes dans leur cœur… Ça me touche…